Si les expériences à l’étranger tendent à confronter les voyageurs à leurs préjugés et à combattre certains comportements discriminatoires et le racisme, sommes-nous tous égaux face à l’inconnu ? Se confronter à l’autre, que ce soit dans son propre pays ou à l’autre bout du monde, a-t-il le même effet sur tous les voyageurs ? Certaines personnes sont-elles prédisposées à être plus tolérantes ou moins racistes ?
Les raisons qui poussent certaines personnes à abandonner leur quotidien pour explorer l’inconnu le temps de quelques jours ou de quelques semaines sont en effet nombreuses. Certains partent à l’étranger pour élargir leurs horizons, découvrir une nouvelle culture, apprendre une nouvelle langue, et d’autres simplement pour passer un moment dépaysant entre amis. A l’étranger, certains se cherchent et d’autres se trouvent en apprenant à connaître les autres. C’est le cas de la dizaine de personnes que nous avons interrogée sur leurs habitudes de voyage afin de comprendre comment leurs expériences à l’étranger ont pu affecter la manière dont ils appréhendent le monde. Selon eux, voyager est synonyme de la perte de ses habitudes, d’un autre mode de vie et d’ouverture à d’autres cultures. A la question « Penses-tu que le voyage mène à une ouverture d’esprit ? », leur réponse est unanime : oui.
« Voyager m’a permis de réaliser que nous sommes tous différents, mais semblables de bien des manières. Une fois que tu en prends conscience, la vie prend un autre tournant. » Julie Pinechot

Découverte et remise en question.
Partie dix mois en Equateur dans le cadre de ses études en coopération et développement, Julie Pinechot a vécu dans une ferme de permaculture et a étudié les rudiments de cette pratique pour son mémoire. Selon elle, le voyage permet une chose : montrer qu’il n’y a pas qu’un seul mode de pensée, qu’un seul mode de vie, mais bien des dizaines et des dizaines de modèles différents. Les expériences à l’étranger permettraient donc à ceux qui se prêtent au jeu de prendre conscience de la diversité du monde, mais aussi de ses similarités. « Voyager m’a permis de réaliser que nous sommes tous différents, mais semblables de bien des manières. Une fois que tu en prends conscience, la vie prend un autre tournant », affirme-t-elle.
La clé de cette remise en question serait la prise de recul. Il faudrait laisser de côté sa culture et la vision du monde avec laquelle on a grandi pour se laisser tenter par d’autres perspectives et se faire sa propre opinion. C’est en tout cas l’une des leçons que Maya Morgan a retiré de ses expériences autour du globe. Après un stage et un programme de volontariat à l’étranger, Maya a tiré une conclusion : « Le voyage permet de s’ouvrir au monde d’une manière très différente de lorsque l’on reste chez soi. On interagit avec des personnes très différentes et qui ont une autre perception du monde. On est donc amenés à porter un regard nouveau sur le monde, sur notre réalité, sur les cultures, sur nos relations aux autres et sur nous-même. Le fait de vraiment voir de ses propres yeux ce qu’il se passe ailleurs permet de se faire une opinion basée sur du vécu et non plus sur des idées. »

L’expérience contre les préjugés et le racisme
L’origine des préjugés et du racisme prend en effet racine dans les idées reçues qu’on peut avoir d’autres pays ou cultures. A défaut de pouvoir appréhender soi-même les différentes réalités qui nous entourent, la compréhension que nous en avons repose sur les stéréotypes et clichés qui les restreignent. Native du Maroc et résidant en Belgique, Rhita Bennis, qui a effectué plusieurs séjours linguistiques ainsi que du backpacking, a parfois été victime de l’image stéréotypée que certains peuvent avoir de son pays. Pour elle, se rendre sur place et partager la réalité de l’autre est la meilleure manière de se défaire des idées reçues et de mieux comprendre la culture d’un pays. « On m’a souvent posé des questions qui me semblaient étonnantes, du type : est-ce qu’il y a des voitures au Maroc ? Comment ai-je pu aller à l’école ? Comment se fait-il que je parle correctement le français ? Pour moi, le meilleur moyen de palper les réalités sociales est de se rendre sur place. Même si le voyage commence déjà à mes yeux lorsqu’on s’intéresse à d’autres cultures et qu’on a une discussion intéressée sur le sujet avec ceux qui la vivent, être sur place reste le meilleur moyen d’intégrer ces informations. »

“Quand on voyage, on se rend compte que les préjugés qu’on a reçu d’histoires de proches, des médias ou autre peuvent être complètement faux.” Barbara Jean
Barbara Jean a voyagé dix mois en sac à dos à travers neuf pays d’Amérique du Sud. “Quand on voyage, on se retrouve confronté à des réalités du pays qu’on ne connaissait pas forcément. Et d’un autre côté, on se rend compte que les préjugés qu’on a reçu d’histoires de proches, des médias ou autre peuvent être complètement faux.” Avec une petite dose d’ouverture d’esprit, de curiosité et grâce aux rencontres, la tolérance ne peut se voir que renforcée. Car voyager, c’est aussi se mettre à la place de l’autre et quitter la position de local pour devenir un étranger dans un autre pays. C’est ce qu’Anthony Estebe soutient. Il a déménagé à plusieurs reprises outre-Atlantique, notamment pour des stages et des déplacements professionnels avant de partir en sac à dos pendant un an. « Avant de partir vivre dans d’autres pays, les étrangers étaient pour moi “les autres”. Or, je suis actuellement l’étranger dans un pays et je comprends mieux les facettes des allochtones que je pouvais critiquer autrefois », explique-t-il.
« C’est l’interaction avec l’humain qui vous change. C’est ce qui vous marque, ce qui vous sonne et ce qui fait changer votre vision des choses. » Julie Pinechot
Expérience humaine
Oser l’inconnu et aller contre les idées reçues commence cependant déjà avant de franchir le pas de sa porte. Une des premières barrières que les personnes interrogées ont rencontrée n’est pas matérielle, mais bien mentale. Avant de partir seule en Colombie, Maya a en effet dû passer outre certains préjugés avant de réserver son billet d’avion. « J’ai été amenée à modifier mon regard sur ce pays et sur la croyance qu’on me projetait. On me disait : « C’est dangereux ! Il faut faire attention ! » Une fois sur place, c’était tout le contraire. » De retour d’Equateur, Julie partage l’idée qu’outre les paysages, ce sont les rencontres avec les populations locales qui humanisent un pays et aident à se défaire de certains préjugés. « C’est l’interaction avec l’humain qui vous change. C’est d’ailleurs ce qui fait toute la beauté et l’authenticité du voyage. L’échange humain est ce qu’il y a de plus important à mon sens. C’est ce qui vous marque, ce qui vous sonne et ce qui fait changer votre vision des choses. »
Confronté en Inde à un sujet considéré comme délicat en Europe, Anthony a également été amené à reconsidérer sa manière de voir les choses. « Un chauffeur de taxi me racontait que son mariage avait été arrangé par ses parents. Pourtant, cela n’avait pas l’air de le déranger. Il m’expliquait que les mariages d’amour ont pour base la passion et que la passion diminue après un certain temps. Et selon lui, c’est là que les problèmes commencent. En revanche, un mariage arrangé part de rien et permet donc de tout construire et de vraiment apprendre à connaître l’autre. En discutant avec d’autres Indiens, il s’est avéré que nombre d’entre eux avaient vécu la même expérience. La majorité trouvait les mariages arrangés plus durables et même plus intéressants que des mariages d’amour. »
“ Le voyage m’a fait acquérir cette ouverture à l’autre. Mon regard s’est élargi. J’ai appris à ne plus voir ce qui me différencie des autres, mais bien ce qui nous rassemble en tant qu’humains, qu’importe d’où on vienne. ” Maya Morgan

De retour au pays : ouverture d’esprit
Si toutes les personnes interrogées ont été amenées à changer d’avis sur les préjugés qu’ils avaient sur l’étranger, ils partagent tous, avant de partir, une certaine ouverture d’esprit propice à la tolérance. Forts de leurs rencontres et de leur vécu à l’étranger, ils se disent aujourd’hui plus ouverts, plus tolérants, même s’ils soupçonnent que leurs expériences à l’étranger ne leur ont pas enseigné ce respect de la différence, mais ont plutôt renforcé et réaffirmé ce trait de caractère dont ils disposaient déjà.
Maya témoigne. « Grâce au voyage, je suis devenue moins peureuse d’aller vers l’autre, de prendre des risques ou de parler à des inconnus dans la rue. Je pense que c’est maintenant dans ma personnalité. Le voyage m’a clairement fait acquérir cette ouverture à l’autre. Mon regard s’est élargi. J’ai appris à ne plus voir ce qui me différencie des autres, mais bien ce qui nous rassemble en tant qu’humains, qu’importe d’où on vienne.»
Pour Julie, ces expériences font aujourd’hui partie intégrante de sa vie. « Le voyage m’a aidé à construire ma personnalité, à m’enseigner des choses auxquelles je crois et des causes qui me tiennent à cœur. Cela m’a ouvert l’esprit sur un nombre incalculable de sujets. Cela m’a bercé dès mes 18 ans et cela continue encore aujourd’hui, à 25 ans. Le voyage a contribué à la personne que je suis et ce pour le meilleur. »